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[Décryptage] - L’agroécologie : oui… mais qui pour en payer le prix ?

  • Photo du rédacteur: Louise
    Louise
  • il y a 12 minutes
  • 6 min de lecture

Alors qu’elle était encore rangée dans la case des pratiques marginales il y a quelques années, l’agroécologie s’impose aujourd’hui au cœur des débats sur la transition agricole. On la brandit parfois comme une solution évidente, presque magique, face aux défis environnementaux. La réalité, comme souvent en agriculture, est un peu plus rugueuse.


thé ancien

Rappelons que l’agroécologie repose sur une idée simple en apparence : utiliser au maximum la nature comme facteur de production. Dans les faits, cela demande une connaissance fine de ses sols, de ses couverts, de la biodiversité, de tout ce qui vit et interagit sous et au-dessus de la surface. Autrement dit, cela complexifie considérablement le métier d’agriculteur.


Et pourtant, les résultats sont là. Même si nous manquons encore d’études chiffrées à grande échelle, les agriculteurs que j’ai rencontrés, eux, témoignent. Plusieurs parviennent aujourd’hui à maintenir des rendements quasi équivalents tout en réduisant considérablement l’usage d’intrants et en améliorant le taux de matière organique. Mais ce succès ne s’obtient pas en un claquement de doigts : il faut en général cinq à sept années pour atteindre un nouvel équilibre productif. Cinq à sept années d’ajustements, de tâtonnements, d’essais plus ou moins fructueux.


Alors, si l’agroécologie s’affirme comme la voie privilégiée pour concilier production et environnement, pourquoi ne se déploie-t-elle pas plus vite ?


Des freins culturels tenaces


Le monde agricole bouge, c’est indéniable. Mais changer ses pratiques reste toujours délicat. Surtout dans un métier où les habitudes sont ancrées et où les représentations comptent.


Pour beaucoup, un champ « propre », sans une herbe qui dépasse entre les rangs, reste le signe d’un travail bien fait. Plusieurs agriculteurs qui ont basculé vers des pratiques agroécologiques m’ont confié que leurs voisins leur avaient demandé s’ils avaient « abandonné » leurs champs… simplement parce qu’ils avaient implanté des couverts inter-rangs.


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Le mot “agroécologie”, lui, continue parfois d’amuser ou d’agacer. Je repense à ce déjeuner avec plusieurs éleveurs : l’un venait d’être désigné référent agroécologie dans une organisation agricole départementale. Ses collègues l’ont gentiment chambré tout le repas. Il en riait, bien sûr, mais la scène résume à elle seule les résistances culturelles encore bien ancrées.


Pour autant, on le sent de manière perceptible,  les lignes bougent. Les jeunes agriculteurs ont déjà un pied dedans : les couverts végétaux, les rotations, la réduction des intrants… sont aujourd’hui devenus la norme, notamment grâce au verdissement de la PAC. Et puis, il faut rappeler que ceux qui subissent le changement climatique en premier, ce sont eux. La grande majorité des agriculteurs sait pertinemment qu’il faut continuellement s’adapter, ils expriment même une volonté forte de changement —et ceux qui peuvent l’opérer sans accompagnement le font.




Des freins agronomiques et techniques


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L’agroécologie suppose d’abord de comprendre son sol, son vivant, ses interactions. Oui, des analyses existent, mais cela ne suffit pas : il faut acquérir un nouveau regard, un (re)nouveau rapport à la terre, elle devient un véritable allier et plus un simple support.  Alors qu’avant un seul produit pouvait régler à lui seul un problème agronomique, concilier production et respect de l’environnement demande une combinaison de solutions.


Et cela passe nécessairement par… tester.




Tester. Se tromper. Ajuster. Recommencer. Et recommencer encore. Avec tous les coûts et les pertes de rendement que cela implique, nous en reparlerons.

La difficulté supplémentaire, c’est que ce qui fonctionne dans une région ne fonctionne pas forcément dans la région d’à côté… ni même dans la parcelle voisine. Pas simple, dans ces conditions, de transmettre des “recettes” toutes faites. Le métier devient plus technique, plus exigeant, plus agronomique qu’il ne l’a jamais été.

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Et il y a un élément que l’on oublie trop souvent : une carrière agricole, c’est quarante récoltes. Quarante essais. Quarante opportunités d’apprendre ou de se tromper. C’est énorme… et à la fois terriblement court pour repenser entièrement sa manière de produire.


Se pose alors la question de l’accompagnement. Il faut que les techniciens, qui accompagnent les agriculteurs dans la conduite de leur exploitation, montent eux-même en compétence pour conseiller efficacement les agriculteurs dans la transition. C’est bien tout un écosystème qui doit évoluer !



Des obstacles économiques très concrets


Tout cela a un coût.

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Changer de pratiques, c’est investir dans du matériel différent, se former, accepter de perdre parfois du rendement sur certaines parcelles, absorber les années de transition. Pendant cette période, les coûts de production augmentent nécessairement. Pourtant, ces coûts ne pourront pas être répercutés dans le prix de vente du produit. Résultat : des charges en hausse, des rendements en baisse et une marge encore grignotée. 

Quand les trésoreries sont déjà tendues, on comprend que beaucoup préfèrent jouer la prudence et ne pas tout changer. 


C’est d’autant plus vrai pour la moitié des agriculteurs qui vont partir à la retraite dans les 5 ans à venir. Certainement pas le moment de se lancer dans une nouvelle aventure. 

On est ici sur le point dur de la transition : l’argent.

L’écologie ne se massifie que lorsqu'elle est alignée avec l’économie. Si les agriculteurs sont financés, en tout ou partie, pour se lancer dans la transition, les freins culturels et les freins agronomiques seront très rapidement levés.


Financer la transition : une condition indispensable


Parce que soyons clairs : si l’on attend uniquement les agriculteurs pionniers et les convaincus, l’agroécologie restera l’affaire d’une minorité.


On ne peut pas demander aux agriculteurs de porter seuls le poids de la transition alors qu’elle bénéficie à toute la société, à chacun d’entre nous.


La question est donc simple : qui finance ?


  • L’État ? Il devrait jouer un rôle clé… mais les budgets sont serrés. Et cela ne va pas aller en s’arrangeant. Sur le terrain, les collectivités ou les services territoriaux ont eux plus de marge de manœuvre pour s’engager dans la transition lorsqu’ils en ont la volonté.


  • L’Europe ? Elle soutient déjà via la PAC et ses dispositifs de verdissement.


  • Les entreprises ? C’est là que se trouve, à mon sens, le plus gros levier.

    Une partie de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution a compris qu’une agriculture française résiliente est indispensable pour sécuriser leurs approvisionnements en cas de crise. Avec le changement climatique, la multiplication des crises politiques et sanitaires et la baisse du nombre d’agriculteurs, financer la transition n’est plus juste un coup de com’ : c’est un investissement stratégique pour continuer à proposer du “made in France” et garantir la disponibilité des produits, y compris et surtout en période de crise.


  • Le consommateur ? Nous pouvons tous avoir un véritable impact. Quand nous le pouvons, il faut accepter de payer le juste prix de notre alimentation. Il faut aussi plus de cohérence pour assumer nos grandes idées : nous devons consommer l’agriculture que nous demandons.


Pour une Agriculture du Vivant : un exemple concret de ce que pourrait être la transition


Je ne peux pas écrire cet édito sans parler de Pour une Agriculture du Vivant. J’ai la chance de produire et d’animer le podcast de l’association. Cette mission m’a permis de découvrir la complexité de la mise en œuvre de la transition.


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Pour une Agriculture du Vivant a vocation à réunir acteurs publics et privés pour financer ensemble les surcoûts de la transition pour les agriculteurs engagés dans de nouvelles pratiques.

On le sait, tous les agriculteurs ou presque pratiquent les rotations de cultures. Ils produisent sur un même champ, d’une année sur l’autre de la pomme de terre, du maïs, du blé, des betteraves sucrières, etc…. Les entreprises ne sont pas philanthropes, elles ne souhaitent pas financer à elle seule toute la transition de l’exploitation alors qu’elles n’utilisent qu’une culture. Pour une même exploitation, il va donc falloir réunir plusieurs entreprises : par exemple, McCain va financer la pomme de terre et Pasquier le blé. Chacun soutient la culture qui concerne sa filière mais l’ensemble des entreprises couvre donc la totalité de la rotation de l’agriculteur. Cela représente une sécurité importante pour l’agriculteur. D’autant plus que le dispositif lui permet de mutualiser les investissement avec ses paires engagés dans le même programme.Une organisation essentielle pour massifier la transition.


Et c’est là qu’on comprend toute la complexité derrière ! Sur chaque territoire, il faut identifier les entreprises prêtes à investir, les convaincre de collaborer ensemble, aligner les modèles économiques, embarquer les agriculteurs, bâtir la confiance… puis refaire exactement la même chose dans le territoire suivant…

C’est l’objectif du leur projet, COVALO, qui se déploie… dans les Hauts-de-France, la Normandie-Centre, l’Ouest, la Vendée-Deux-Sèvres…


Un travail de fourmi, discret, mais essentiel mené par l’association.


Conclusion


L’agroécologie trace un chemin crédible pour concilier production et environnement. Mais elle demande du temps — le temps long de l’agronomie, pas celui des cycles médiatiques ni des injonctions sociétales.


Si nous voulons vraiment y parvenir, il faudra assumer collectivement ce que nous demandons aux agriculteurs : les soutenir, les accompagner financièrement, ne pas les laisser seuls face à ce changement immense.


On considère l’agriculture comme un bien commun ? Alors à nous de contribuer, chacun à notre mesure, à bâtir l’avenir que nous exigeons d’elle.




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